ENTRETIEN. La vice-présidente du parti d’Éric Zemmour prédit l’avènement d’un nouveau clivage : « droite civilisationnelle » contre « gauche de la déconstruction ».
Propos recueillis par Charles Sapin – Le Point
Le Point : Vous êtes vice-présidente en charge de la formation au sein de Reconquête ! Où en est votre école des cadres ?
Marion Maréchal : Cette école va être lancée en avril. Elle constitue l’une des priorités du mouvement pour faire émerger la prochaine génération de responsables politiques de droite. Des moyens importants sont mis au service de ce projet qui répond à une double ambition. Former les mille cadres qui font Reconquête ! pour les mettre au niveau en vue des échéances électorales à venir et les accompagner dans l’implantation locale du parti. Mais aussi détailler, préciser, harmoniser et définir le socle idéologique commun de notre mouvement. L’école dispensera une formation complète, à la fois philosophique, doctrinale et militante. Nous organiserons également des colloques avec des experts pour réfléchir aux grands enjeux de société. Le premier aura lieu sur la question de la légalisation de l’euthanasie samedi prochain. Cette école transmettra les marqueurs politiques qui font notre singularité comme le primat civilisationnel dans notre combat. Dire que la grande question historique, vitale, à laquelle nous sommes confrontés est celle de la sauvegarde de l’identité française, qui implique d’aborder les sujets de la démographie, de l’islamisation et de l’immigration. Moi qui suis une femme, mère de deux petites filles, je sais que le jour où l’islam sera majoritaire en France, les premières victimes seront nous, les femmes, et en premier lieu mes filles, puisque c’est sur leur génération que pèse cette menace.
Hormis la lutte contre l’immigration, quels seront les enseignements prodigués ?
La lutte contre le grand endoctrinement est un autre grand marqueur. L’école ne doit être le lieu d’aucune politisation, ni le terrain de jeu des lobbys. Nous voulons décortiquer la menace idéologique de la théorie du genre, du wokisme, des lobbys LGBT et dénoncer les moyens d’influence qu’ils ont auprès des plus jeunes et les soutiens dont ils bénéficient de la part des pouvoirs publics. Ce sont des sujets difficiles à manipuler, « politiquement incorrects ». Nous allons nous en emparer quand tous, à droite, ont déserté. Il y a un troisième marqueur, qui est la défense de la valeur travail face à l’assistanat et à l’enfer fiscal. Les soi-disant libéraux à la tête de notre pays passent leur temps à alimenter l’étatisme réglementaire et à distribuer des chèques en pagaille. Ils ne remettent en rien en cause le poids d’un État providence ruiné par l’immigration au détriment de l’État régalien et stratège. Notre mouvement a l’ambition d’être une boussole idéologique de la droite, en installant une nouvelle offre politique, la droite civilisationnelle, qui est la réponse la plus adaptée au nouvel adversaire qu’est la gauche de la déconstruction, aujourd’hui incarnée par la coalition de la Nupes.
Depuis la présidentielle, votre formation se veut le chantre d’une « droite civilisationnelle ». N’est-ce pas se tromper de clivage ? Retraites, pouvoir d’achat, mondialisation… La principale ligne de fracture en France se révèle encore et toujours sociale. Pas identitaire.
Je ne suis pas d’accord. La question de l’identité fait partie des sujets de préoccupation majeurs et le sera de plus en plus dans les années à venir. Les questions économiques peuvent être fluctuantes, cycliques. Pas les conséquences culturelles et sécuritaires de l’immigration. Regardez la multiplication des viols et d’agressions commises par des personnes ciblées par des obligations de quitter le territoire (OQTF), l’aggravation est terrifiante. La démographie est irréversible, pas la notation des marchés financiers. Nous considérons que la question civilisationnelle est déterminante parce qu’elle détermine toutes les autres. Ne croyez pas qu’un pays peut réussir économiquement s’il est plombé de l’intérieur par une immigration nombreuse et mal intégrée avec un taux de chômage élevé, une violence endémique, une défiance générale entre citoyens alimentés par le communautarisme. Regardez au Danemark, ils ont compris que s’ils voulaient sauver leur État providence, ils devaient réduire l’immigration. C’est ainsi qu’ils ont justifié leur politique. La spécificité d’Éric Zemmour, la force de Reconquête ! est de ne pas arrêter ses positions en fonction de sondages. Lorsque nous défendons des idées, c’est parce qu’on y croit. Non parce qu’elles sont majoritaires.
En répondant pied à pied au mouvement woke, à ce que vous qualifiez de « gauche de la déconstruction », vous faites de Jean-Luc Mélenchon et de sa Nupes vos principaux adversaires. Il ne vous a pas échappé qu’ils ne sont pourtant ni l’un ni l’autre au pouvoir…
Cela va bien au-delà de la personne de Jean-Luc Mélenchon. Ils seront bientôt les principaux adversaires. C’est la trajectoire en cours. Je suis convaincue que la grande opposition politique, demain, se fera entre une droite civilisationnelle au sens large et cette gauche de la déconstruction. Entre nous et cet anti-humanisme de gauche qui déconstruit le peuple par l’immigration, la culture par le multiculturalisme, l’histoire par le déboulonnage des statues, la biologie par la négation des sexes féminin et masculin, la langue par l’écriture inclusive… D’autres dérives viennent, avec la déconstruction de la place de l’homme dans la nature par l’idéologie antispéciste. Tous ces sujets qui paraissent des coquetteries intellectuelles aujourd’hui seront des grands sujets idéologiques demain. Cette gauche qui les porte, relativement marginale il y a encore quelques années, est en train de devenir extrêmement puissante et a d’ores et déjà une traduction électorale. Le socle du centre, tel que nous l’avons connu en France, régnant sur les élections, va s’amoindrir pour des raisons générationnelles et sociologiques. Nous allons assister à une polarisation de la vie politique, sur le modèle américain d’une certaine manière. Parce que la vie et le quotidien des Français sont difficiles à tous les niveaux, il paraît logique qu’il y ait un durcissement de la vie politique. On le voit d’ores et déjà dans la dialectique et la rhétorique de la gauche. La réponse devra être à la hauteur. Loin du centre mou du parti Les Républicains, l’autre parti du « en même temps ».
Vous êtes peu audible lors des débats sur la réforme des retraites. Est-ce parce que vous soutenez la copie du gouvernement ?
Cette réforme était nécessaire pour des raisons d’équilibre financier. Néanmoins, la copie du gouvernement n’est pas satisfaisante. Les deux prérequis qui conditionnent l’efficacité de cette réforme, et donc l’augmentation du taux de productivité, sont restés des angles morts du gouvernement. La natalité tout d’abord et la question de la politique de l’emploi. Tant que nous restons dans un environnement économique de surfiscalité, de différentiel important entre le salaire brut et net, de concurrence déloyale, de désindustrialisation, vous ne faites que décaler le coût de la retraite vers le coût du chômage en décalant l’âge de départ, en particulier pour les séniors. D’autre part, quand on demande aux Français de faire des efforts, on commence déjà par soi-même. Le gouvernement annonce des assises sur les dépenses publiques. Il aurait été préférable que cette démarche de rigueur budgétaire précède cette réforme.
Difficile d’exister sans élu, qui plus est à l’Assemblée nationale, redevenue le centre de gravité de l’échiquier politique. Ne touchez-vous pas du doigt les limites de l’agit-prop et de la bataille culturelle ?
Si nous n’avons pas de député, nous avons quelque quatre cents élus. Nous voyons bien toutes les limites de la politique à l’Assemblée nationale. Nous aurions pu penser qu’en situation de majorité relative, le Palais-Bourbon revienne au centre du jeu. Que les débats seraient constructifs, que les vieux réflexes sectaires qui y ont prévalu depuis des années soient enfin brisés. Ce n’est pas le cas. L’Assemblée est devenue une ZAD, une AG de Nanterre. Les Français sont dégoûtés par ce qui s’y déroule. Heureusement, la crédibilité ne passe pas uniquement par là. Nous avons d’autres tribunes. Notre opération Parents vigilants a rencontré un grand succès, notre mobilisation a permis l’annulation d’une conférence islamiste dans plusieurs villes… Nous investissons tous les champs. Reconquête ! n’a pas disparu au lendemain de la présidentielle. Il n’y a pas eu d’effondrement aux législatives, nous avons obtenu des scores très honorables dans nombre de grandes villes. Nous étions présents lors des différentes partielles, en arrivant plusieurs fois devant les candidats Les Républicains. Notre mouvement est en phase de consolidation mais existe d’ores et déjà dans le jeu politique. Notre objectif est que cette existence soit démontrée et approfondie lors des prochaines élections, aux européennes.
La candidature de Reconquête ! aux élections européennes pourrait avoir pour conséquence d’affaiblir le RN, lui interdisant la première place, et condamner LR à ne pas dépasser les 5 %, donc ne pas avoir d’élu. Est-ce votre ambition pour les contraindre à une « union à droite » ?
Nos ambitions sont multiples. Prouver tout d’abord aux commentateurs un peu hâtifs que Reconquête ! n’est pas un feu de paille mais un parti significatif dans la politique française, en obtenant un score honorable et des élus. Nous voulons ensuite en quelque sorte « grand-remplacer » la droite de compromission par une vraie droite de conviction. Je pense que lors de ces élections, nous pouvons apporter la réponse à un électorat de droite qui n’a plus envie de faire confiance à une force politique qui ne cesse de faire la démonstration de son vide idéologique total. Parmi les 158 vice-présidents de LR nommés par Éric Ciotti, vous trouvez ficelés au scotch des proches d’Emmanuel Macron comme Guillaume Larrivé, des amis d’Aurélien Pradié, qui incarnent une tendance de gauche, et enfin quelques conservateurs… Comme partout en Europe, ces vieilles droites qui se sont compromises se font concurrencer puis doubler par de nouvelles offres politiques. C’est ce qu’il s’est passé en Italie, où Giorgia Meloni a pris la place de Silvio Berlusconi ; en Espagne où le Vox taille des croupières au Parti populaire. Le grand fait politique de 2022, ce n’est pas la réélection d’Emmanuel Macron. C’est l’apparition d’un nouveau parti fort de près de 100 000 adhérents. Si nous obtenons des élus aux européennes et faisons un meilleur score que LR, alors Reconquête ! sera un parti pivot incontournable. D’ici 2027, nous pourrons alors travailler à ce que chacun accepte de s’asseoir autour de la table et que toutes les composantes du camp national et de la droite se retrouvent pour pouvoir arriver au pouvoir.
Éric Zemmour retrouve ses habits d’essayiste en sortant un livre, la semaine prochaine. Quel doit être, selon vous, son rôle dorénavant ? Figure tutélaire et intellectuelle de Reconquête ! loin de l’arène électorale, ou au contraire continuer d’en être l’incarnation dans les urnes ?
Éric Zemmour est, de fait, un homme politique mais ce n’est pas un politicien. Il ne fait pas de calcul démagogique. Il pense davantage à la prochaine génération qu’à la prochaine élection. C’est sa force. Il a été soutenu aussi parce qu’il a été un prescripteur intellectuel à droite pendant des années. À ce titre, c’est normal qu’il continue de s’exprimer par ce qui l’a fait aussi connaître des Français : l’écrit. Nous arrivons un an après l’élection présidentielle, ce bilan sera intéressant parce que l’histoire écrite par Reconquête ! en très peu de temps est inédite dans l’histoire de la Ve République. Donner sa grille de lecture des événements aux Français, la frénésie médiatique de la présidentielle maintenant derrière nous, permet de poser les fondations sur lesquelles s’appuyer pour l’avenir.
Même question, posée différemment. Souhaitez-vous prendre la tête de la liste Reconquête ! aux prochaines européennes ?
Je l’ai dit. Je suis à la disposition du parti et d’Éric Zemmour. La décision lui reviendra en temps voulu. Nous en avons parlé ensemble récemment. Il a été convenu que la décision ne sera pas prise pour l’instant. C’est trop tôt. Comme je vous l’ai dit, nous sommes dans une phase de consolidation.
Comment jugez-vous Jordan Bardella, probable future tête de liste aux européennes, dans ses premiers pas de président du Rassemblement national ?
Je n’arrive pas à déceler de ligne bardelienne. Le temps la fera probablement apparaître. Dans ses déclarations, ses discours, je n’ai rien vu qui ne le distingue de Marine Le Pen. Je peux donc difficilement émettre sur lui un avis distinct de celui que je porte sur elle. Ce qui ne m’empêche pas de le trouver talentueux.
Une rencontre avec la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, est-elle prévue ?
Une tournée européenne aura lieu en temps et en heure. Elle se fera quand la tête de liste sera désignée. Je suis en contact avec les équipes de Giorgia Meloni et une grande partie des forces qui composent, au Parlement européen, le groupe ECR des conservateurs. L’enjeu de ces européennes est aussi qu’une nouvelle majorité se dégage au Parlement européen, et qu’une nouvelle présidence de la Commission soit obtenue. Qui défende réellement l’indépendance de l’Union européenne, sa souveraineté stratégique, la civilisation européenne et qui respecte le principe de subsidiarité d’États trop de fois violés ces dernières années. Avec des élus, Reconquête ! peut y contribuer.