Marion Maréchal & Éric Zemmour : faites la droite pas la guerre

ENTRETIEN CROISÉ DANS L’INCORRECT PAR JACQUES DE GUILLEBON

Finalement, ils se seront parlé. Parallèlement à la Convention de la droite que L’Incorrect a co-organisée ce 28 septembre, les deux vedettes de la droite non-alignée Marion Maréchal et Éric Zemmour ont pu confronter librement dans nos colonnes leur vision de la France, de la droite, du populisme et du progressisme. Une rencontre nécessaire et féconde.

Vous avez participé tous les deux à la Convention de la droite. Dans le fond, quel sens donnez-vous à ce mot de droite aujourd’hui ?

Éric Zemmour : J’ai un rapport très ambivalent à ce terme. Je pense que le clivage droite-gauche qui avait pris son sens moderne après-guerre est aujourd’hui désuet pour une raison simple : il était alors porté par l’émergence de la classe moyenne occidentale et le débat tournait principalement autour de la redistribution. Fallait-il plus ou moins redistribuer ? Mais ce sujet, incarné par l’opposition entre LR et le PS, est mort. On en est revenu aux clivages profonds, philosophiques, identitaires, qui séparent populistes et progressistes : on peut estimer paradoxalement que c’est le retour au vrai clivage droite-gauche, ça se défend tout à fait. Mais ce mot « droite » est comme le mot libéralisme : il nous piège d’avance.

Marion Maréchal : On a déjà eu ce débat avec Éric Zemmour, mais on va le poursuivre. Pour moi, je ne dis pas que le clivage droite-gauche est entièrement satisfaisant et je suis consciente de toutes les limites, surtout pour ma génération qui a toujours baigné dans la théorisation de la fin des clivages traditionnels. Mais s’il y a énormément de raisonnements très satisfaisants sur le plan intellectuel, comme les clivages libéral-antilibéral, mondialiste-patriote, somewhere-anywhere, enracinés-déracinés, France périphérique-France urbaine, qui souvent se recoupent, je n’en trouve aucun qui me satisfasse pleinement. En revanche, le clivage droite-gauche a le mérite de demeurer le plus lisible dans l’esprit des Français.

J’ajouterai que c’est mon père qui a été le théoricien du « ni droite ni gauche » au Front National, c’est quand même amusant. Mais dans son esprit, ça ne voulait jamais dire autre chose que « ni RPR, ni PS » qu’il renvoyait dos à dos car ils menaient la même politique, comme l’UMPS ! M.M.

Car, comme dans le débat que nous avons eu avec Patrick Buisson, le risque est de verser seulement dans le monde intellectuel avec des mots relevant de l’histoire des idées politiques, en oubliant qu’il y a des clivages plus opérationnels sur le plan politique, c’est-à-dire dans lesquels les Français se reconnaissent tout de suite parce que ce qu’ils représentent résonne clairement dans leur esprit.
Même s’il est vrai que le clivage droite-gauche a beaucoup évolué avec le temps, comme le dit Eric Zemmour, aujourd’hui il est évident que l’esprit de la droite c’est la nation, la famille, la tradition, l’autorité en opposition à la vision progressiste, antinationale, voire post-nationale, mondialiste, internationaliste, structuraliste, socialiste, etc.

J’ajouterai que c’est mon père qui a été le théoricien du « ni droite ni gauche » au Front National, c’est quand même amusant. Mais dans son esprit, ça ne voulait jamais dire autre chose que « ni RPR, ni PS » qu’il renvoyait dos à dos car ils menaient la même politique, comme l’UMPS ! C’était un rejet de ces partis, mais le fait que ces partis ne correspondent plus aux courants auxquels ils sont censés appartenir ne veut pas dire que ces courants ne continuent pas à irriguer la société française autrement.

É.Z. : J’en suis tout à fait d’accord. Et on est en train de sortir de cinquante ans de soumission à l’économie pour revenir à un débat très XIXe siècle, très identitaire, où l’on se demande ce qu’est une nation, ce qu’est un État. On se retrouve bien plus proche des débats intellectuels du XIXe siècle que des débats des années 1960. Je suis d’accord : il ne faut pas déconnecter le monde des idées de celui de la réalité que vivent les gens. Le débat droite-gauche tel qu’il a été préempté par la réalité électorale depuis les années 1960 est mort. On en revient à une opposition droite-gauche digne de 1840. Quand Jacques Julliard avait écrit après l’élection de Macron qu’on était revenu en 1958, j’ai répondu qu’on était bien plutôt en 1830 : pour moi, Macron est la réincarnation de Louis-Philippe. Il représente cette sociologie louis-philipparde [Ndlr : bourgeoise et urbaine], l’exacte inverse de celle des Gilets jaunes.

M.M. : On prend Macron pour 18 ans, alors ? À écouter Eric Zemmour, on a l’impression que l’on est sous le règne de Louis-Philippe pour encore deux décennies.

É.Z. : Les choses allaient plus lentement à l’époque, heureusement pour nous. Mais le fait est qu’il y avait beaucoup d’émeutes à cette période, et les émeutes de 1832 sont déjà celles des Gilets jaunes. Buisson l’a très bien décrit, mais il est passé paradoxalement pour quelqu’un qui cherchait une alliance avec la gauche, alors qu’il n’y est absolument pas favorable. C’est toute l’ambiguïté de son discours. Il ne veut pas du tout s’allier à la France Insoumise. Mais cela prouve surtout que ces mots de droite et de gauche, de libéralisme et d’antilibéralisme ne peuvent plus être utilisés.

M.M. : En effet. Surtout si l’on comprend que les antilibéraux de gauche sont, pour la plupart, des internationalistes, des multiculturalistes, en plus d’être socialiste sur le plan économique.

La France insoumise est en train d’être détruite par l’alliance entre les islamo-gauchistes, les féministes et les LGBT. Mélenchon et Corbière vont être liquidés par ces gens-là. E.Z.

É.Z. : C’est même pire que ça : ces mêmes antilibéraux de gauche sont en train de se faire phagocyter par les islamo-gauchistes et l’idéologie décoloniale. La France insoumise est en train d’être détruite par l’alliance entre les islamo-gauchistes, les féministes et les LGBT. Mélenchon et Corbière vont être liquidés par ces gens-là.

M.M. : C’est pourquoi le terme de libéralisme est piégeux. On ne sait jamais si l’on parle de libéralisme économique ou philosophique. Or, tout n’est pas à jeter dans le libéralisme philosophique de Tocqueville !

Reste que Macron revendique le progressisme et qu’il faut bien se définir par rapport à cela. Par exemple, en s’affirmant populiste ?

É.Z. : Le terme de populisme ne me gêne pas, car dans populisme il y a peuple. Et tous les populistes dans l’histoire se sont opposés aux communistes et aux totalitarismes. Il existe une longue tradition populiste qui ne me rebute absolument pas.

M.M. : Le terme de populiste ne me gêne pas non plus, mais le problème est qu’il est utilisé pour stigmatiser, et qu’il sert à mêler tout et n’importe quoi : on ne peut pas mettre le Syriza grec, le Podemos espagnol ou la Ligue italienne dans le même sac. Il y a des populismes de droite et de gauche. Leur plus petit dénominateur commun est d’avoir un chef charismatique, de représenter l’anti-élitisme et la démocratie directe. Cela ne suffit pas à les réunir dans un projet commun de société.

Je crois que l’histoire est en train de régler notre discussion : le populisme de gauche théorisé par Ernesto Laclau crève de cette alliance des islamo-gauchistes et des féministes LGBT. E.Z.

É.Z. : Je crois que l’histoire est en train de régler notre discussion : le populisme de gauche théorisé par Ernesto Laclau crève de cette alliance des islamo-gauchistes et des féministes LGBT. Mais il y a une justice, car Ernesto Laclau et Chantal Mouffe parlent du « peuple qu’on construit », démontrant que le populisme de gauche est un constructivisme, qui ne porte aucune notion d’enracinement ou d’histoire et qui croit que l’on peut construire un peuple par opposition aux élites et aux riches. Dans son livre, Chantal Mouffe en appelle à l’association des minorités pour construire le peuple nouveau : finalement ce populisme de gauche est un leurre, un trompe-l’œil, afin d’empêcher le peuple de trouver une issue à la crise qu’il traverse.

M.M. : Je le redemande alors : pourquoi devrait-on s’allier avec lui ? Pourquoi devrait-on créer un bloc populiste avec ces gens-là ?

É.Z. : Il ne s’agit pas d’une alliance de partis, il s’agit de convaincre les électeurs. Prenons les électeurs de Mélenchon : il y a là des fonctionnaires, des petites classes moyennes, des gens qui sont en première ligne parce qu’ils travaillent dans les hôpitaux, derrière les guichets, en milieu scolaire, et qui savent très bien que la société est en voie de désagrégation, en grande partie à cause de l’immigration. Et ces personnes-là n’ont aucune raison de voter pour Clémentine Autain ou Danielle Obono qui défendent les indigénistes. Ces électeurs-là ont vocation à quitter les chefs qui les aveuglent et ils s’en rendent de plus en plus compte.

M.M. : Pour ma part, je pense qu’il y a une mauvaise lecture des 20 % de Mélenchon en 2017. Ce score était dû à l’effondrement du PS dont une grande partie de la branche radicale s’est déplacée vers la gauche. Mélenchon a par ailleurs continué à capitaliser sur le vote communautaire sans aucune difficulté (c’est d’ailleurs en Seine-Saint-Denis que LFI a fait ses meilleurs scores aux législatives), tout en bénéficiant du vote des bobos de centre-ville qui adorent se donner un frisson révolutionnaire.

Puis sont arrivés les Gilets jaunes, qui, pour une grande partie, étaient des abstentionnistes sortis du jeu politique depuis longtemps et des électeurs du Rassemblement National, mais le tout cornaqué et récupéré par des cadres de La France Insoumise. M.M.

Et il a réussi, c’est vrai, à capter aussi une partie des abstentionnistes. Puis sont arrivés les Gilets jaunes, qui, pour une grande partie, étaient des abstentionnistes sortis du jeu politique depuis longtemps et des électeurs du Rassemblement National, mais le tout cornaqué et récupéré par des cadres de La France Insoumise.

É.Z. : C’est exactement ce que j’ai compris.

M.M. : D’où l’on a théorisé « la grande alliance populiste », seulement parce que des cadres d’extrême gauche ont fait ce qu’ils font de mieux depuis toujours : récupérer des mouvements sociaux à leur profit. On s’est écrié : « C’est génial, enfin la droite et la gauche populiste réunies, transformons ça en victoire politique ! » Mais c’est une mauvaise analyse des causes.

É.Z. : C’est même pire : l’encadrement LFI a censuré le discours de la masse des Gilets jaunes, ce qui les a empêchés de parler d’immigration, d’insécurité ou d’islamisation. Je le répète : je pense que le seul populisme est un populisme qu’on dirait « de droite ». On en revient au préambule : il est possible que le clivage entre progressistes et populistes soit en fait un retour à l’ancien clivage gauche-droite.

Le populisme est une idéologie peu substantielle. Ne serait-il pas possible d’arriver à un corpus doctrinal où le populisme arrimé au conservatisme, un peu comme on le voit chez Viktor Orban ?

É.Z. : Bien sûr. Je le dis depuis le début : le populisme est le cri des peuples qui ne veulent pas mourir. Derrière lui, il y a un inévitable corpus conservateur, car nous voulons conserver. Mais en France, un conservateur est identifié à une grenouille de bénitier, ça ne fait pas rêver.

M.M. : C’est vrai que le terme a mauvaise presse. Le conservatisme est un humanisme quand le progressisme est un technicisme. Je repense à cette phrase de Soljenitsyne : « Jusqu’à présent l’homme était le sujet de l’histoire, aujourd’hui il se transforme en copeau du progrès. Le progrès avait jusqu’à maintenant entamé la nature, aujourd’hui il commence à entamer la culture et l’homme ». L’humanisme réel est en réalité aujourd’hui du côté des conservateurs.

Tous ces mots sont lestés par nos adversaires d’une charge maléfique : je suis d’avis de retourner le stigmate avec joie ; d’arborer ce dont on nous accuse en pensant à la page magnifique de Victor Hugo dans Choses Vues qui dit « soyez dédaigneux ». On est populistes, on est réactionnaires, on est conservateurs, on est tout. Ça ne sert à rien de biaiser, car en définitive on est contre eux. On se définit contre eux et chacun reconnaîtra les siens. E.Z.

É.Z. : Et même des réactionnaires ! Parce qu’on n’a pas encore évoqué les réactionnaires, on a parlé de populistes, de conservateurs mais les gens ont encore plus peur des réactionnaires. Alors qu’on voit bien aujourd’hui que les auteurs réactionnaires de la Contre-révolution comme Joseph de Maistre ou Taine avaient tout prévu du délire progressiste, avaient tout anticipé jusqu’à la fin, jusqu’à ce que l’on voit aujourd’hui.

Dire que vous combattez le progressisme, n’est-ce pas prêter le flanc à ceux qui vous accusent de refuser le progrès ?

É.Z. : J’ai adopté une tactique. Tous ces mots sont lestés par nos adversaires d’une charge maléfique : je suis d’avis de retourner le stigmate avec joie ; d’arborer ce dont on nous accuse en pensant à la page magnifique de Victor Hugo dans Choses Vues qui dit « soyez dédaigneux ». On est populistes, on est réactionnaires, on est conservateurs, on est tout. Ça ne sert à rien de biaiser, car en définitive on est contre eux. On se définit contre eux et chacun reconnaîtra les siens. Il ne sert à rien d’arriver à une pureté sémantique et idéologique. Enfin, je pose la question mais je n’ai pas de certitude.

C’est une belle posture de résistance. Mais comment faire si l’on veut gagner ? Ne pourrait-on pas penser à être pour au lieu d’être contre ?

M.M. : Le contre est parfois fédérateur.

É.Z. : Et le pour c’est quand on a le pouvoir. De Gaulle était contre : il était contre Pétain, contre la IVe et un jour il a instauré la Ve. Mais nous aussi on peut être pour : pour le rétablissement de l’État, pour le rétablissement des frontières, pour l’arrêt de l’immigration. Il me semble que nous sommes arrivés à un tel degré de désagrégation que le simple fait de dire qu’on va restaurer certaines choses est déjà une réponse. Tout le monde a compris aujourd’hui que le niveau de l’école était devenu nullissime : rien que le fait de revenir à la qualité de l’enseignement des années 1960 me ferait déjà rêver et ferait, je crois, rêver beaucoup de gens.

Heureusement la France est encore bien vivante et je le vois lorsque je vais faire des randos dans le Jura, que je vais pêcher sur un petit quai breton, que je vais faire des balades à moto dans le Lubéron, que je vois ces paysages français qui sont un hymne au patriotisme à eux seuls. M.M.

M.M. : Le premier combat réside avant tout dans le réarmement psychologique des Français. Ils ont été désarmés moralement et psychologiquement parce qu’on a détruit toutes leurs défenses immunitaires. Défenses immunitaires qui sont la transmission, l’histoire, l’ancrage dans une lignée, les traditions. Lorsque des gens se dressent et disent : « La France a déjà fait beaucoup dans le monde et vous avez encore un rôle à jouer », je crois que c’est un soulagement moral très important et que ça passe déjà par là. Pour ma part, j’ai un attachement charnel et très sensoriel à la France. Heureusement la France est encore bien vivante et je le vois lorsque je vais faire des randos dans le Jura, que je vais pêcher sur un petit quai breton, que je vais faire des balades à moto dans le Lubéron, que je vois ces paysages français qui sont un hymne au patriotisme à eux seuls. Avant les grands combats intellectuels et moraux, mon premier combat est de défendre une terre et un peuple, bien plus qu’une « idée ». La menace démographique, l’immigration, le spectre de la partition du territoire nous priveront peut-être demain du droit de vivre et de mourir sur les terres de nos aïeux. D’anciens ministres eux-mêmes ont alerté sur le risque de sécession culturelle et territoriale.

É.Z. : Et même le Président de la République !

M.M. : Et le Président François Hollande, oui. La vraie menace, c’est de devoir demain abandonner ces territoires, c’est déjà le cas lorsque certains Français de souche quittent certains quartiers à cause de la pression des autres habitants.

J’ai grandi avec une phrase de mon grand-père dans la tête qui disait toujours que la France, dans son histoire singulière, était faite de chutes lamentables mais aussi de grandes résurrections. D’une certaine manière, quand on est français, on est condamné à l’espoir. M.M.

É.Z. : Oui, c’est le fameux White Flight britannique. Lorsque j’ai écrit Le Suicide Français et que j’ai eu besoin de documentation d’époque, je me suis rendu compte que ces comportements dataient de la fin des années 1970. Dès la mise en place du regroupement familial, les Français ont commencé à fuir et à être chassés. L’enjeu des premières émeutes de 1981 à 1983, c’est justement le refus du logement des policiers dans les banlieues. On dit souvent qu’il n’y a plus de flics dans les banlieues mais c’est parce qu’ils en ont été chassés, parce que le pouvoir a cédé et les a exfiltrés.

Vous décrivez une réalité très noire. Sommes-nous vraiment condamnés ?

É.Z. : Il est vrai que je suis très pessimiste. Je crois même que ce que je viens de décrire n’est rien à côté de ce que l’on va connaître.

M.M. : J’ai grandi avec une phrase de mon grand-père dans la tête qui disait toujours que la France, dans son histoire singulière, était faite de chutes lamentables mais aussi de grandes résurrections. D’une certaine manière, quand on est français, on est condamné à l’espoir.

É.Z. : Il est vrai que l’une des leçons de l’Histoire de France, c’est qu’on s’en est toujours sorti. Mais en toute honnêteté, je ne vois pas comment aujourd’hui. Nous sommes revenus à une espèce d’état originel de l’humanité. Le progressisme nous ramène aux grandes questions premières, à la guerre des races, à la guerre des religions, et même à la guerre des sexes. Paradoxalement, ce qu’on appelle le progrès nous abaisse aux conflits les plus primaires de l’humanité. Dans une telle régression, je ne vois pas comment nous en sortir.

M.M. : J’élargirais en disant que le mal français est un mal occidental. Les grands bouleversements démographiques et culturels sont avant tout occidentaux. La démocratie est fondée sur la souveraineté nationale. Et derrière la nation, il y a des codes implicites qui permettent une certaine unité. La loi, par exemple, dans une nation est le résultat d’un consensus. Or aujourd’hui, elle est de plus en plus le fruit d’un rapport de force, qui penche forcément en faveur des classes d’argent ou des minorités organisées. Le grand perdant est la majorité silencieuse. Je me demande comment ce rapport de force pourrait tourner à l’avantage de la majorité silencieuse. C’est pour cela que je pense qu’on ne peut pas faire l’économie de rallier à notre cause une partie des classes bourgeoise et moyenne, car le sentiment national est encore suffisamment vivace pour faire mentir la lecture marxisante de la société qui réduit le vote à la défense d’un intérêt matériel.

On vit aujourd’hui sous la dictature des minorités et de l’idéologie des droits de l’homme. Aujourd’hui, les juges ont pris le pouvoir, les minorités l’ont compris et se sont engouffrées dans la brèche. Et c’est le peuple qui a perdu. Pour reprendre le pouvoir, il n’y a qu’une solution : c’est le référendum. E.Z.

É.Z. : Il faudrait nuancer en disant que la loi a toujours été le produit de rapport de force. Il y a toujours eu des groupes de pression. Simplement, puisqu’il y avait une unité ethnique et culturelle, la minorité acceptait la défaite. On vit aujourd’hui sous la dictature des minorités et de l’idéologie des droits de l’homme. Aujourd’hui, les juges ont pris le pouvoir, les minorités l’ont compris et se sont engouffrées dans la brèche. Et c’est le peuple qui a perdu. Pour reprendre le pouvoir, il n’y a qu’une solution : c’est le référendum.

C’est d’ailleurs au nom de l’État de droit qu’on essaie de renverser Viktor Orban en Hongrie.

É.Z. : Oui, car il a le pouvoir et qu’il peut renvoyer les juges en faisant hurler les cours européennes. Comme l’a fait la IIIe République. La plus grande purge de juges, c’est la IIIe République qui l’a faite. On ne le dit jamais, mais eux ne se sont pas trompés de combat. Aujourd’hui, on doit passer par le référendum pour imposer aux juges la volonté du peuple.

Il faut faire un référendum sur tous les sujets alors ?

É.Z. : Exactement, il faut un référendum sur tous les sujets principaux.

M.M. : On peut aussi faire une réforme constitutionnelle qui ramène le conseil constitutionnel à son rôle originel.

C’est la question fondamentale et c’est le drame de l’impasse politique française. Aujourd’hui, la France est le pays le plus gravement malade et pourtant il est celui qui manque le plus de médecins adaptés à sa maladie. E.Z.

É.Z. : Mais cela signifie qu’il faut sortir la charte des Droits de l’Homme du bloc de constitutionnalité.

Une femme politique de premier plan vient de faire sa rentrée en disant « le peuple a toujours raison ». Pourtant, le problème avec le recours au peuple c’est que le peuple change. Si l’on fait un référendum en Seine-Saint-Denis sur l’interdiction des mosquées on connaît déjà la réponse… faut-il donc encore croire au peuple ?

É.Z. : Elle va encore dire que je suis trop pessimiste si je vous réponds… En démocratie, oui. Mais il y a effectivement une course de vitesse entre le remplacement du peuple et le fait que des minorités encouragent ce remplacement pour nous dire « regardez, c’est le peuple qui décide ». C’est la question fondamentale et c’est le drame de l’impasse politique française. Aujourd’hui, la France est le pays le plus gravement malade et pourtant il est celui qui manque le plus de médecins adaptés à sa maladie. On envie presque les régimes parlementaires pourris à l’italienne qui permettent encore au peuple d’être représentés.

M.M. : Le système italien est intéressant. Leur mentalité politique est beaucoup moins sectaire que la nôtre. Tout le monde parle à tout le monde ! Par un coup d’État institutionnel, la Ligue a perdu le pouvoir au profit d’une coalition M5S-PD, qui à mon avis ne durera pas. Mais la Ligue conserve encore toute sa popularité et peut espérer revenir au pouvoir demain. Pourquoi est-ce arrivé ? Parce que la Ligue a remplacé la droite. En s’alliant avec Berlusconi, ils ont pris des pouvoirs locaux, ont démontré leur efficacité localement et ont fini par remplacer la droite. Ils ont poussé Berlusconi dans les limbes et sont aujourd’hui la principale force d’opposition.

É.Z. : Qu’on s’entende bien, je ne suis pas du tout hostile à l’union des droites. Simplement, il faut savoir à quels électeurs s’adresser. Quels électeurs peuvent encore faire le choix de la patrie contre le choix de l’argent ? C’est cruel ce que je dis, mais c’est ça : aux européennes, les résultats ont été désespérants.

Il est aussi social ! Tu n’aimes pas la lutte des classes, mais ça existe… E.Z.

M.M. : Oui, mais il faut aussi considérer le biais générationnel. Macron est un jeune président avec un vieil électorat. C’est le président des baby-boomers. Ces électeurs-là ont un vote plus homogène. Ils entretiennent un clivage générationnel.

É.Z. : Il est aussi social ! Tu n’aimes pas la lutte des classes, mais ça existe…

M.M. : Moi je ne réduis pas tout au clivage social, je n’ai pas une vision marxisante de la société.

É.Z. : Il ne faut pas tout réduire à ce clivage, mais il compte beaucoup dans l’analyse. Il ne faut pas l’ignorer si l’on veut le dépasser.

M.M. : Mais c’est Macron qui a imposé cet affrontement entre progressistes et populistes !

É.Z. : Marine Le Pen aussi oppose les mondialistes et les patriotes.

M.M. : La question est : les responsables politiques doivent-ils s’efforcer de réduire ces clivages sociaux ou bien les alimenter ? Moi je suis gênée par la dialectique qui consiste à passer son temps à opposer les Français des villes aux Français des champs, les Français des métropoles aux Français des campagnes, les riches aux pauvres, les dominants aux dominés. N’a-t-on pas plutôt intérêt à sortir les Français de ces antagonismes que les conforter dans leurs oppositions ? À force de répéter aux Français qu’ils n’ont rien à se dire, ils finissent par le penser, et l’électeur libéral de droite finit par se jeter dans les bras de Macron alors qu’il aurait bien des choses à partager avec le Gilet jaune qui est descendu dans la rue pour dénoncer les impôts et les taxes !

É.Z. : Non. De Gaulle disait lui-même qu’il avait passé son temps à diviser les Français. Cela m’amuse que l’on fasse aujourd’hui passer de Gaulle pour un rassembleur. Dans l’opposition, il a passé son temps à diviser pour prendre le pouvoir. Il n’a rassemblé qu’ensuite, une fois qu’il avait le pouvoir.

M.M. : Donc Sarkozy n’a pas rassemblé ?

É.Z. : Sarkozy n’a pas rassemblé du tout lors de sa prise de pouvoir. Il se faisait traiter de fasciste.

M.M. : Il n’a pas rassemblé les droites pour sa prise de pouvoir ?

Il a trahi, oui, mais il a réussi à rassembler les électorats de droite. Moi je parle de rassembler les électorats de droite pour prendre le pouvoir. Et pour cela Sarkozy n’avait pas capitalisé sur l’opposition entre riches et pauvres. M.M.

É.Z. : Si, il a rassemblé les droites pour la dernière fois de leur histoire, afin de totalement les trahir ensuite. Mais il n’a pas rassemblé le pays.

M.M. : Il a trahi, oui, mais il a réussi à rassembler les électorats de droite. Moi je parle de rassembler les électorats de droite pour prendre le pouvoir. Et pour cela Sarkozy n’avait pas capitalisé sur l’opposition entre riches et pauvres.

É.Z. : Oui, mais c’est parce qu’il a tenu un discours identitaire. Le discours du travail, c’était un discours pour faire passer le discours identitaire. Les ouvriers étaient sensibles au discours identitaire, pas au discours social.

M.M. : Ce que je dis, c’est que la classe moyenne qui n’a pas de problème avec le discours identitaire n’est pas forcément mobilisée par ce thème. En revanche, elle peut être séduite si le discours identitaire est accompagné de la valeur travail et de la défense de la liberté d’entreprendre.

É.Z. : Je me souviens très bien de la campagne de 2007. Nicolas Sarkozy a décollé dans les sondages quand il a proposé un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale. Pas après le travailler plus pour gagner plus.

M.M. : En Italie du Nord, la Ligue a réussi à rallier tout le tissu des PME industrielles riches en alliant discours identitaire et un discours économique capable de parler à la classe économique.

É.Z. : Je ne suis pas hostile à ce discours, mais je pense qu’on n’a pas du tout la même structure économique et sociale que l’Italie.

La France est le pays le moins libéral d’Europe et l’a toujours été. C’est connu. On est comme ça. De plus, on n’a pas le tissu de PME des autres pays européens. Nous, nous avons les grands groupes du CAC40, qui ont délocalisé massivement, qui nous amènent de l’argent certes, mais nous amènent aussi du chômage. E.Z.

M.M. : Mais tous les partis populistes de droite aujourd’hui au pouvoir tiennent un discours économique beaucoup plus libéral que la France.

É.Z. : La France est le pays le moins libéral d’Europe et l’a toujours été. C’est connu. On est comme ça. De plus, on n’a pas le tissu de PME des autres pays européens. Nous, nous avons les grands groupes du CAC40, qui ont délocalisé massivement, qui nous amènent de l’argent certes, mais nous amènent aussi du chômage.

M.M. : Pourquoi les Gilets jaunes sont-ils descendus dans la rue ? Pour protester contre les taxes. Pas pour demander plus d’État-Providence. La classe travailleuse, qui gagne entre 1 500 et 2 500 euros par mois n’est pas venue demander plus de social.

É.Z. : Mais peut-on croire que les Gilets jaunes sont capables d’approuver un discours filloniste de réduction de la dette et du déficit budgétaire ? Ce n’est d’ailleurs même plus le sujet lorsqu’on a des taux d’intérêt négatifs.

M.M. : On est quand même sur un équilibre fragile. Ce n’est pas très responsable de tabler son avenir sur des taux qu’on ne maîtrise pas. Si encore on dépensait pour financer de grandes stratégies d’avenir comme l’éducation ou l’innovation.

É.Z. : Non. La vraie perversité du système français est d’avoir délocalisé massivement, donc de ne plus pouvoir créer assez de richesses sur le sol national, de devoir faire vivre sa population par des redistributions massives, qui créent un appel d’air migratoire aggravant encore le problème.

M.M. : Mais l’on doit prendre aussi en compte la crédibilité politique à l’international. Macron est inaudible en Europe parce que personne ne prend son discours au sérieux vu la situation économique française. N’est-ce pas problématique que la France dépende de créanciers étrangers qui peuvent décider de ne plus nous prêter demain ?

Mais ça n’est pas vrai ! C’est un faux sujet. La France est crédible parce qu’elle a une armée et la bombe atomique. C’est tout. Ils ne peuvent pas décider de ne plus nous prêter demain ! Ils se battent même pour nous prêter de l’argent ! Tous les discours sur la raison budgétaire sont faux. E.Z.

É.Z. : Mais ça n’est pas vrai ! C’est un faux sujet. La France est crédible parce qu’elle a une armée et la bombe atomique. C’est tout. Ils ne peuvent pas décider de ne plus nous prêter demain ! Ils se battent même pour nous prêter de l’argent ! Tous les discours sur la raison budgétaire sont faux.

Y a-t-il encore des grands hommes pour nous gouverner ?

M.M. : Le Fil de L’Epée de de Gaulle peut en tout cas nous apprendre ce qui fait un chef. Mais je pense que c’est l’Histoire qui fait les grands hommes. Aujourd’hui, de Gaulle serait peut-être commissaire de police et Napoléon un start-uper.

É.Z. : Sans la guerre de Gaulle n’était rien. Tout comme Napoléon.

M.M. : C’est quand même extraordinaire que tu sois si pessimiste, toi qui admires Napoléon et ses coups d’éclat, son épopée qui n’a tenu qu’à un homme…

L’exercice de la puissance a aujourd’hui changé. Elle ne dépend plus seulement de la géographie, de la démographie ou de la capacité militaire mais aussi des flux : l’économie, l’innovation, etc. M.M.

É.Z. : Non, cela n’a pas tenu à un seul homme. Napoléon a existé grâce à la révolution française et grâce à la démographie française qui était la plus importante d’Europe. Un génie militaire à la tête d’une armée de masse ne pouvait avoir que ce destin-là. Or, aujourd’hui la puissance démographique se trouve au Sud. Et c’est désormais le Sud qui nous envoie ses bataillons de migrants.

M.M. : L’exercice de la puissance a aujourd’hui changé. Elle ne dépend plus seulement de la géographie, de la démographie ou de la capacité militaire mais aussi des flux : l’économie, l’innovation, etc.

É.Z. : Oui, pour de petits États comme Israël ou comme Singapour. Leur prospérité est réelle, mais ce ne sont pas des grandes puissances. Quand j’évoque la démographie c’est pour mettre l’accent sur le fait qu’aujourd’hui elle se retourne contre nous et nous écrase.

Bernanos disait que « l’espérance est le désespoir surmonté »

É.Z. : C’est exactement ce que je pense. Mais je suis désespéré. Je crois qu’il faut se battre tout de même. Mais je refuse de donner de l’espérance alors que je n’en ai pas. Je demande qu’on me prouve que l’on peut encore en avoir.

C’est cette classe minoritaire de Blancs, confrontés à l’invasion et à la colonisation qui se bat avec l’énergie du désespoir parce qu’ils prennent conscience qu’ils vont mourir. Une autre partie de cette jeunesse se rallie au nouveau pouvoir. Les derniers qui se battent le font avec des moyens dérisoires en étant minoritaires. E.Z.

M.M. : On pourrait aussi citer Cioran : « espérer c’est démentir l’avenir ». Imaginez, notre époque est un Gorafi géant : une gamine de 15 ans vient faire la leçon aux députés, le chef d’État canadien s’excuse depuis dix jours parce qu’il s’est déguisé en Aladin il y a vingt ans, et c’est repris par toute la presse française, les féministes organisent à Paris un salon pour expliquer que « l’hétérosexualité n’est pas seulement une orientation sexuelle mais un régime politique… ». Il y aurait de quoi rire si la situation n’était si grave. Moi je vois de l’espoir dans ces Français qui, malgré cette propagande délirante et le travail de sape de l’éducation continuent de résister intellectuellement.

É.Z. : C’est cette classe minoritaire de Blancs, confrontés à l’invasion et à la colonisation qui se bat avec l’énergie du désespoir parce qu’ils prennent conscience qu’ils vont mourir. Une autre partie de cette jeunesse se rallie au nouveau pouvoir. Les derniers qui se battent le font avec des moyens dérisoires en étant minoritaires.

M.M. : Mais ce sont les minorités qui font l’Histoire !

É.Z. : En tout cas l’Histoire est écrite par la violence. Je ne sais pas si on s’en sortira, mais si on s’en sort, le prix sera terrible.

Propos recueillis par Bruno Larebière, Jacques de Guillebon et Benoît Dumoulin