Marion Maréchal : « Avec Reconquête !, le groupe ECR peut être la force pivot de la droite européenne »
Entretien avec Charles Sapin paru dans Le Point le 7 février 2024
Marion Maréchal se disait jusque-là proche de la cheffe du gouvernement nationaliste italien, Giorgia Meloni. Elles sont désormais officiellement alliées. La tête de liste Reconquête ! aux élections européennes annonce au Point qu’elle vient d’obtenir, après de longs mois de négociation, son rattachement au parti ainsi qu’au groupe des Conservateurs et réformistes européens (European Conservatives and Reformists, ECR). C’est un premier pas important pour la formation d’Éric Zemmour, qui rêve de faire son entrée au Parlement européen. Voire d’y peser. Le mouvement national-conservateur européen dirigé par la présidente du Conseil italien a depuis deux ans le vent en poupe. Outre les élus Fratelli d’Italia, les Démocrates de Suède, qui en sont membres, ont devancé la droite traditionnelle jusqu’à lui imposer une coalition gouvernementale. Après avoir fait de même dans leur pays, le Parti des Finlandais a quitté le groupe rival Identité et Démocratie (ID) pour ECR. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, révélait quant à lui dans Le Point en décembre dernier que ses élus siégeraient eux aussi après les élections du 9 juin au sein du groupe ECR. De quoi possiblement faire de ce dernier la troisième force du Parlement européen, après le Parti populaire européen (Chrétiens démocrates) et le groupe S & D (Socialistes). De quoi « influer » sensiblement sur la politique européenne actuelle, promet Marion Maréchal, qui voit là un avantage concurrentiel de poids par rapport au Rassemblement national « qui reste, et a priori restera, isolé dans les instances européennes. »
Le Point : Votre mouvement, Reconquête !, va-t-il rejoindre le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) – dont le parti dirigé par la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni – pour siéger en cas d’élections aux européennes au sein de leur groupe au Parlement de Strasbourg ?
Marion Maréchal :Oui, nous rejoignons dès aujourd’hui le groupe des Conservateurs. Notre député européen Nicolas Bay y a officiellement adhéré mardi 6 février au soir. Le groupe et le parti ECR sont déjà très influents au sein des instances européennes et ont vocation, au lendemain des prochaines élections européennes, à devenir le groupe pivot et central de la droite au Parlement de Strasbourg. C’est au Parlement européen que je compte défaire le projet de Macron et de ses alliés.
Pourquoi ce choix du groupe nationalconservateur ECR et non pas celui de son rival national-populiste, Identité et Démocratie (ID), dans lequel siège le Rassemblement national ?
Moi, je n’oublie pas que le 9 juin est une élection européenne. C’est au Parlement européen que je compte défaire le projet de Macron et de ses alliés. Le groupe ECR peut devenir – grâce notamment à l’apport de Reconquête !, l’arrivée des élus hongrois du parti de Viktor Orban, le Fidesz et d’autres forces politiques, comme l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) – la troisième force politique du Parlement européen. Cela signifie dépasser largement le groupe libéral Renew, dans lequel siègent les élus macronistes et, par conséquent, réduire leur influence au sein du Parlement européen au profit de la droite conservatrice. Et cela, seul ECR – et donc Reconquête !, qui en sera l’unique délégation française – est en mesure de le faire. ECR comprendra bientôt cinq partis qui participent aux gouvernements de leurs pays, dont trois qui les dirigent. Cela signifie que les Conservateurs pèsent non seulement au sein du Parlement européen mais aussi au sein du Conseil et même de la Commission. C’est un groupe qui aujourd’hui compte dans les institutions et joue un vrai rôle. Il comptera encore davantage dans la prochaine mandature. A contrario, le RN et son groupe ID sont toujours marginalisés au sein du Parlement et des instances européennes.
Fratelli d’Italia, comme la plupart des forces politiques membres d’ECR, sont en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, de son élargissement jusqu’aux Balkans occidentaux, voire pour l’abandon de la règle du vote à l’unanimité des États membres pour ce faire. Vous partagez ces positions ?
Non, je suis défavorable à tout nouvel élargissement. Mais soyons clairs : vous ne trouverez jamais un groupe européen, quelle que soit sa tendance politique, qui est unanime sur tout. Même s’il y a une vision partagée de l’Europe pour l’essentiel, il y a toujours des singularités nationales, qui font que, parfois, les intérêts se confrontent et les options divergent. Maintenant, ce qui m’intéresse, c’est que ECR est un groupe qui porte l’idée d’une révision profonde de la politique européenne, plus respectueuse de la souveraineté des nations et de la défense de leur identité. C’est le coeur de notre engagement. ECR défend un renforcement des frontières extérieures de l’Union et critique la politique migratoire laxiste actuelle. ECR est un groupe conservateur sur les sujets de société, il dénonce toutes les politiques, propagandes ou subventions pro-LGBT, woke et se bat contre la normalisation de la gestation pour autrui (GPA). ECR prône les libertés économiques contre l’étatisme et la bureaucratie. Sur tout cela, c’est-à-dire l’essentiel, nous sommes totalement en phase. Face à l’extrémisme des Verts, c’est aussi ECR qui se bat pour la soutenabilité économique de notre agriculture et la souveraineté alimentaire. Pour toutes ces raisons, c’était de loin le choix le plus cohérent politiquement.
ECR espère constituer une coalition avec la droite traditionnelle, représentée au sein du Parlement européen par le groupe PPE, dont est membre le parti Les Républicains. Cette même droite que vous accusez d’avoir « trahi » et que vous assumiez il y a quelques mois dans nos colonnes vouloir « grand remplacer ». N’est-ce pas contradictoire ?
ECR peut être la force pivot de la droite européenne et le vecteur d’une recomposition totale de la majorité au Parlement européen. Ce que vous appelez la droite traditionnelle, le PPE, penche vers le centre et est aujourd’hui allié avec le groupe Renew d’Emmanuel Macron, avec les socialistes et bien souvent avec la gauche écologiste. Si le groupe des Conservateurs passe devant Renew, cela veut dire que le centre de gravité du Parlement européen se déplacera mécaniquement vers la droite. Et le PPE devra faire un choix : soit continuer son alliance avec la gauche qui permet toutes les dérives progressistes et conduit à tous les renoncements, soit faire alliance avec nous, les Conservateurs, en renouant avec une ligne politique de droite. C’est une véritable bascule qui peut s’opérer. D’autant plus si le PPE perd sa délégation française, c’est-à-dire si LR échoue à faire élire des députés européens, et qu’ECR en gagne une avec notre arrivée. Disons-le simplement : le choix des électeurs français, et en particulier des électeurs de droite, va peser très lourd dans la reconfiguration à venir de la politique européenne. C’est une occasion unique de rompre avec cette droite centriste, molle, complice de Bruxelles et soutien de la Commission, pour une droite véritable, attachée à l’identité des nations. Privée du soutien de la coalition contre-nature LR/PPEmacronistes- socialistes-écologistes, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ou celui qui prendra sa suite, n’aura plus les mains libres pour imposer sa politique. Je ne serais pas choquée de siéger avec des élus du RN, mais cette question ne se pose pas aujourd’hui et nous défendons un projet politique différent.
Pour résumer, vous souhaitez remplacer la droite au niveau national mais vous allier à elle au niveau européen ?
Nous défendons le principe d’une coalition des droites, en France comme en Europe. Il existe aujourd’hui différentes sensibilités à droite. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ce que nous disons, c’est « mettons-nous autour de la table », comme est capable de le faire la gauche. Réfléchissons à ce qui nous rassemble sur l’essentiel pour pouvoir obtenir des victoires. C’est ce qu’il va se passer au niveau européen, c’est un mouvement de fond. Il existe des courants au sein du PPE avec lesquels on peut discuter et qui se posent justement déjà la question de leurs alliances futures. Comme il en existe d’autres, progressistes et européistes, avec qui toute forme de discussion est très compliquée. Mais on observe quelque chose de notable : dans de plus en plus de pays européens, les partis de droite et de centre droit dits « traditionnels » qui constituent l’armature du PPE se voient de plus en plus reprocher au niveau national leur dérive centriste et leurs alliances contre nature avec la gauche. C’est ce qui permet d’ailleurs aux droites alternatives et conservatrices comme la nôtre de progresser partout. Lorsque vous êtes membre du PPE et que vous vous rendez, par exemple, comptable du Pacte vert et de son tsunami réglementaire qui tue l’agriculture, c’est délicat à défendre devant vos électeurs…
Les membres du groupe Identité et Démocratie, dont le RN, ont longtemps porté l’idée d’un grand et unique groupe nationaliste avec les membres d’ECR. À eux deux, ces deux groupes pourraient devenir le premier groupe au Parlement européen. Qu’en pensez-vous ?
L’union n’est pas forcément la fusion. Mais c’est une logique assez typique du RN, que je regrettais déjà lorsque j’en étais encore membre. Plutôt que d’avoir des coalitions de gens qui gardent leurs spécificités et qui travaillent ensemble, ils veulent tout de suite créer une fusion. En réalité, dès le départ, ce grand groupe européen était une utopie pour une raison simple : la plupart des délégations d’ECR ne veulent pas travailler avec l’AfD allemande ou avec le Rassemblement national. Il peut y avoir des majorités de circonstances, des convergences, mais de là à siéger dans le même groupe, c’est inenvisageable pour la plupart des forces conservatrices. Le RN le sait bien, comme le démontre l’évolution de Jordan Bardella en ce domaine. Il alterne entre un discours critique envers Giorgia Meloni et des appels du pied, comme récemment à l’occasion de ses voeux, lorsqu’il a expliqué vouloir travailler avec les Conservateurs. Au fond, Jordan Bardella sait que pour espérer peser un minimum au sein des institutions européennes et sortir le RN de son isolement, il a tout intérêt lui-même à ce que le groupe ECR pèse encore davantage.
Quand vous dites que beaucoup ne veulent pas siéger dans le même groupe que le RN ou l’AfD, est-ce également votre cas ?
Je ne serais pas choquée de siéger avec des élus d’un parti avec lequel tout le monde connaît mon histoire personnelle, le RN, mais cette question ne se pose pas aujourd’hui et nous défendons un projet politique différent. En ce qui concerne l’AfD, il est certain que je ne m’imaginerais pas aujourd’hui siéger dans le même groupe qu’eux. Il est très compliqué de savoir exactement quelle est la ligne de ce mouvement qui est très hétérogène et qui a, parfois, des positions que je ne partage pas et dont certains membres peuvent nourrir des ambiguïtés, notamment sur le passé historique de l’Allemagne…
Vous avez pourtant pris la défense de l’AFD, contrairement à leur alliée Marine Le Pen, quant à leur projet de « remigration » qui a mobilisé le mois dernier plus de 1 million de personnes dans les rues de Berlin contre lui ?
Éric Zemmour a défendu la remigration pendant la campagne présidentielle avec trois idées très claires : le renvoi des étrangers islamistes et des fameux fichés S, le renvoi des étrangers en chômage longue durée qui ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins, et le renvoi des criminels étrangers. C’est précisément ce que la tête de liste de l’AfD aux européennes, Maximilien Krah, déclare défendre. En ce domaine, nous n’allons pas critiquer ceux qui proposent aujourd’hui ce qui était notre programme hier. Les générations post-68 qui ont porté les blocs de gauche et centristes, petit à petit, sont aussi rattrapés par la violence de la réalité de la mondialisation sans limites et de l’immigration sans fin.
Suède, Finlande, Italie, Pays-Bas, Slovaquie… Il existe une dynamique européenne derrière les différentes forces nationalistes d’un bout à l’autre du continent, au point de supplanter les forces de droite traditionnelles et de conquérir le pouvoir. De quoi ce mouvement est-il le nom ?
Ces nouvelles forces conservatrices qui s’imposent partout face au centre sont une réponse à la trahison des promesses européennes, parfaitement incarnées par les polémiques auxquelles nous assistons aujourd’hui. Avec une Union européenne qui, d’un côté, met des barbelés à l’entrée du Parlement pour empêcher les agriculteurs d’approcher et qui, de l’autre, ouvre ses frontières économiques et migratoires aux quatre vents ! Plus personne n’échappe aujourd’hui aux conséquences de cette folle politique migratoire, de ces politiques de délocalisation et de concurrence déloyale. Y compris ceux qui étaient, jusque-là, plutôt parmi les gagnants de la mondialisation. Pourtant la France fait figure d’exception. Cela tient principalement à notre mode de scrutin. Nous sommes les seuls à ne pas avoir de système parlementaire avec un scrutin proportionnel. Pendant longtemps, ce scrutin uninominal majoritaire à deux tours aux législatives a empêché la représentation de partis alternatifs, disons identitaires, puisqu’il y avait des coalitions de bloc de gauche et de blocs centristes. Les choses évoluent. Les générations post-68 qui ont porté ces blocs, petit à petit, sont aussi rattrapées par la violence de la réalité de la mondialisation sans limites et de l’immigration sans fin. Je pense que la France ne fera plus exception encore bien longtemps.
Votre alliée, Giorgia Meloni, a été élue en Italie sur une promesse de rupture. Depuis lors, elle s’est au contraire inscrite dans les pas de son prédécesseur, l’ancien patron de la BCE Mario Draghi, et n’a pas eu de résultats tangibles sur le front de l’immigration. A-t-elle, elle aussi, « trahi » en cédant au « centre » ?
Ce sont les gouvernements français et allemands qui se sont opposés à la mise en place du blocus naval, abandonnant l’Italie et Giorgia Meloni face à une vague migratoire absolument inédite ! Elle est dans un rapport de force permanent avec les instances européennes. En parallèle, elle a mis en place une politique d’accords avec les pays de départ. C’est ce qu’elle a fait avec la Tunisie, avec un réel succès depuis son entrée en vigueur il y a quelques mois : les départs de migrants clandestins depuis la Tunisie ont baissé de 70 %, ce que le commissaire européen aux Affaires intérieures a reconnu lui-même. Un accord similaire est en projet avec l’Égypte. Si elle ne peut pas mettre en place l’intégralité de la politique migratoire promise, c’est parce que précisément les rapports de force européens actuels ne lui en donnent pas les moyens. Là est tout l’enjeu des prochaines élections européennes : faire en sorte que, demain, des gouvernements comme ceux de Giorgia Meloni puissent avoir un soutien effectif au sein du Parlement européen. En recomposant une majorité qui soit à leurs côtés plutôt qu’aux côtés d’Ursula von der Leyen pour faire face à la submersion migratoire. Mais ce n’est évidemment qu’une étape : pour en finir avec cette politique folle, l’islamisation de notre continent, l’immigration massive qui menace de disparition notre civilisation, il faudra des gouvernements courageux dans toute l’Europe. La France aura un rôle absolument central et décisif à jouer, et ça commence le 9 juin.