Avant de défendre la nécessité de la culture générale en politique et donc également dans la formation des futurs élus, rappelons d’abord ce que la culture générale n’est pas.
La culture générale n’est pas une simple accumulation de connaissances. Elle est une des composantes de ce que l’on qualifiait autrefois de « tête bien faite », autrement dit une intelligence capable de mobiliser des informations de façon transversale, de puiser dans différents domaines de connaissances sans être prisonnière d’un domaine d’expertise, de confronter le présent au passé pour en tirer des leçons, une analyse, un jugement.
Il ne s’agit pas de « quantitatif » mais de « qualitatif », la culture générale ne relève pas de l’« avoir » mais bien de l’« être ». Elle n’a pas pour objectif de pouvoir briller en société mais de façonner la personne et sa façon d’appréhender le monde. Qui a lu Balzac, qui a entendu Chopin, qui a admiré les statues de Benini, qui a vibré au récit de la bataille de Patay ne perçoit pas les murmures du monde de la même manière.
À l’heure où la gouvernance et l’administration des choses ont remplacé le gouvernement des peuples, où le langage et la pratique managériale ont remplacé la Politique, il est important de rappeler que la capacité à conduire des Hommes émane moins de techniques toutes faites que d’une bonne connaissance des tréfonds de l’âme humaine ( à ce titre, la qualification désuète d’Humanités pour désigner la culture générale prenait tout son sens) et d’une réelle capacité de discernement. Le Général de Gaule résumait parfaitement ses bénéfices dans son ouvrage « au fil de l’épée » : « La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire, (…) de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote… »
Dans un monde où les expertises sont rapidement obsolètes, où l’intelligence artificielle concurrence toujours davantage l’intelligence humaine, où il est fréquent de changer, non pas de postes, mais de métiers, il est indispensable, pour quiconque exerce une fonction de direction, de savoir construire un raisonnement avec une vision globale comprenant des savoirs variés pour la mobiliser vers un but défini. Telle est la véritable compétence de « mobilité » si souvent citée dans la communication des écoles supérieures.
Un futur dirigeant politique ne peut se dispenser de s’enraciner dans une culture et une Histoire pour s’imprégner de l’inconscient du peuple, de sa mentalité et de ses réflexes en vue de lui donner un cap auquel il adhérera. Comme le disait Laurent Charlier dans l’une de ses lettres aux élèves : « l’âme d’une maison, comme celle d’un peuple, est faite de beaucoup de fidélités silencieuses ». S’inscrire dans le temps long, c’est accepter d’être le dépositaire de ces fidélités qui nous dépassent. C’est en comprendre la valeur et la fragilité car la fraternité humaine est un sentiment que l’on ne peut imposer ou décréter. Il est le fruit mûr du temps et d’échanges séculaires qui façonne la reconnaissance de soi en l’autre au point de se sentir solidaire et responsable de lui.
Les choix politiques qui s’emploient à déstructurer cette fraternité par méconnaissance, inadvertance ou pire, par lâcheté ou cynisme sont terriblement coupables. S’attaquer à ce legs est la pire des trahisons, car il constitue le socle de notre nation et la condition de son harmonie.
La culture générale a aussi quelques vertus morales.
Effleurer l’immensité des savoirs qui nous ont précédés est un exercice d’humilité. Il permet avant tout de comprendre que l’on ne sait rien ou si peu. Il permet également de se préserver de la grande vanité frappant chaque génération, qui consiste à se croire bien supérieure dans l’esprit et la morale à la précédente. Voilà pourquoi l’ISSEP place la culture générale au cœur de son projet pédagogique. Afin que les futurs dirigeants politiques qui en sortiront abordent la politique pour ce qu’elle est, non pas une pratique de gestion à l’aune de la prochaine échéance électorale, mais la recherche et l’exercice de la puissance comprise comme une délimitation, une autonomie et une indépendance au service d’un peuple libre et uni.