Commençons par relever, avec une certaine saveur, l’étrange schizophrénie de la gauche, En marche comprise, face au mouvement des gilets jaunes. Elle qui n’a de cesse de célébrer la révolution, passe son temps à invoquer le grand mythe fondateur de 1789, rend toute sorte d’hommage à Fouquier-Tinville et Robespierre, fantasme sur Che Guevara ou repense avec nostalgie à ses jeunes années de soutien à Mao Tsé Toung. Souvenons-nous, pour illustration, du livre programme d’Emmanuel Macron humblement intitulé Révolution ! Cette gauche qui oublie que révolution rime le plus souvent avec mort, sang, lynchage, et destruction. Eux qui rêvent d’une révolution romantique qui ressemblerait davantage à une marche pour le climat avec des ballons verts, des goodies recyclables et des pancartes en carton biodégradable.
Voilà pourtant cette même gauche révolutionnaire qui hurle au fascisme et à la violation de l’état de droit chaque fois qu’un frissonnement de révolte apparaît au sein du peuple. Cette gauche aime seulement les révolutions de salon: « révolution numérique », « révolution sexuelle », « révolution écologique », « révolution citoyenne ». En bref des révolutions métropolitaines et bien élevées. Elle ne tolère pas le frisson de révolte des gilets jaunes, pourtant bien loin d’une véritable révolution, car elle la trouve trop populaire, colérique et agressive. Alors cette gauche, bien vite rejointe par une grande partie de la « droite parlementaire », se contente de voir et de dénoncer les violences du mouvement refusant obstinément d’entendre les souffrances trop longtemps silencieuses qu’elles traduisent, et surtout l’immense foule pacifique de province occultée derrière les images parisiennes des casseurs, le plus souvent issus de groupuscules d’extrême gauche.
Tout le monde commente le symptôme, peu de gens s’interrogent sur la nature de la maladie.
Cette crise politique est avant tout une crise institutionnelle d’un pouvoir devenu totalement illégitime. Nous avons aujourd’hui le président le plus mal élu de la V République, une majorité parlementaire obtenue avec moins de 50% de participation. Nous arrivons au bout d’un système d’alternance qui a favorisé jusqu’ici les grands partis traditionnels, marginalisé de grands partis d’opposition, effacé le vote blanc et assuré la continuité idéologique d’un pouvoir qui changeât de visage mais jamais de logiciel. Un système qui utilisa la démocratie représentative pour contourner la démocratie directe en 2005, prouvant par là que le système se sentait autorisé à gouverner sans le peuple. Comment s’étonner alors que 85% des Français pensent que les politiciens ne se soucient pas d’eux ?
Alors le gouvernement pense avoir trouvé la solution en organisant un grand débat dont il annonce d’office qu’il ne le fera pas changer de cap et qu’il ne fera l’objet d’aucun referendum à l’issue… La messe est dite, mais pas l’élection européenne !
Certains journalistes se pâment devant ce grand débat qui « passionnerait » les Français, n’ont pas de mots suffisamment glorifiants pour qualifier les prestations interminables du chef de l’état. Mais rarement se posent-ils la question de l’incongruité totale de la démarche présidentielle. Passons sur le fait que le gouvernement ait volontairement écarté la commission nationale du débat public de l’organisation afin de pouvoir contrôler à la fois les questions posées, la collecte et le traitement des réponses ; passons sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un débat mais d’un jeu de questions-réponses; passons sur le fait que le président sélectionne rigoureusement ses « débatteurs » et connaisse la plupart des questions à l’avance ; passons encore sur le fait qu’il dispose la foule en cercle autour de lui comme devrait l’être des supporters et non des contradicteurs.
Passons enfin sur le fond, où il y aurait beaucoup à dire, notamment sur l’extraordinaire capacité du président à éviter les sujets qui fâchent. Un cas d’école : Emmanuel Macron en débat à Evry-Courcouronnes venu parler des problèmes que connaissent ces territoires. Un véritable tour de force puisque rien n’a été dit sur l’insécurité et la délinquance, rien sur l’économie souterraine des trafics en tout genre, rien, ou presque, sur les problèmes d’assimilation, rien sur le développement de l’islam radical à travers l’activisme d’associations et de mosquées, rien sur le clientélisme local… autrement dit rien sur les grands problèmes qui participent à enfoncer les populations de ces banlieues.
La réalité est que ce simulacre de débat est un dévoiement total de nos institutions. Cet échange sur un projet de société, qui doit normalement avoir lieu avec les Français, à un nom : il s’appelle « élection ». Ce sont les élections qui permettent d’encadrer et trancher le débat. Il n’y a pas de crise du modèle démocratique : 89% des français continuent de penser que la démocratie est le meilleur moyen de gouverner un pays. Il y a une crise de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Une fracture d’hommes. Comment ne pas le comprendre alors que la plupart des ministres expliquent qu’ils s’opposent au principe du referendum, encore davantage au referendum d’initiative citoyenne, ou s’opposent à l’idée de la proportionnelle. Ils pensent ce peuple incapable de gouverner raisonnablement, ils le croient démagogiques, populistes et esclave de ses bas instincts ( sous-entendant au passage que l’élite, elle, n’aurait que des instincts élevés). Peut-être devrait-il comprendre que ce « populisme » du peuple n’est en fait qu’une réponse à l’élitisme des élites.
Alors, pour calmer la contestation de Français qui n’en peuvent plus d’être transparents, on daigne leur accorder un débat au paperboard dans une émission de divertissement, on transforme leur vote en posts ou en tweets, on rigole, on hue comme si le sujet n’était pas sérieux et on rentre chez soi sans aucune garantie qu’une suite soit donnée aux propositions. Bienvenu en hanounacratie.