Mesdames, Messieurs,
Nous arrivons au terme de cette convention sur la question de la légalisation de l’euthanasie. Je tiens, au nom de nos mouvements respectifs, Reconquête, le Mouvement Conservateur et Via I la voie du peuple, à remercier l’ensemble des intervenants pour la qualité de leurs analyses et de leurs témoignages qui nous ont apporté leur éclairage sur un sujet délicat, complexe et non moins essentiel.
Merci à eux de nous permettre de réfléchir au-delà de l’opinion ambiante et de nous aider à nous contrecarrer à des arguments qui semblent si évidents, si simples, si dominants dans l’espace public.
Nous les avons tous entendus : si une personne choisit de mourir, au nom de quoi remettre en cause sa volonté? Chacun n’a-t-il pas le droit de mourir dans la dignité ? Finalement, ce droit donne une possibilité, mais n’enlève rien à personne, pourquoi s’y opposer?
On veut pouvoir tuer par amour, par compassion, par peur aussi. Peur de souffrir, peur de dépendre des autres, peur de ne pouvoir choisir dans une société où la liberté individuelle est érigée en valeur absolue et ne doit souffrir aucune limite.
Même les chiffres semblent contre nous : 75 % des Français seraient favorables à l’euthanasie selon un sondage du journal La Croix.
Et pourtant, ce même sondage révèle que dans les unités de soins palliatifs, ces fameux services médicaux d’accompagnement des personnes en fin de vie, 97 % des malades et 85 % des soignants y sont opposés.
Que faut-il comprendre ? Que ce sont les bien portants et ceux qui ne sont pas concernés qui sont favorables à l’euthanasie, que les partisans d’une cause ne sont pas les acteurs de terrain.
Notre société met tout en œuvre pour sauver une personne qui veut sauter du haut d’un pont ou se jeter sous les rails d’un train, elle alerte immédiatement ses pompiers et envoie ses ambulances, elle encense le citoyen courageux qui aura entravé le geste de désespoir. Mais quand une personne veut mourir dans un lit d’hôpital, alors là, la même société veut tendre la piqûre mortelle.
Mais que s’est-il passé ?
Une dérive inéluctable
La plupart des gens imaginent que cette loi ne concernera que les personnes âgées, malades, incurables, condamnées à mourir à court terme.
Cela n’est pas la réalité des expériences dans les pays ayant déjà légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté.
Pour une raison simple : la légalisation de l’euthanasie n’est pas une simple évolution législative, mais une bien une véritable rupture anthropologique. Une fois l’interdit de tuer remis en cause, une fois le principe renversé, la dérive est inéluctable. On sait où cela commence, jamais où cela s’arrête.
D’un cadre légal le plus souvent assez restrictif et assorti de conditions, ces pays ont petit à petit dérivé. En Belgique, on peut maintenant demander la mort en cas de maladie psychiatrique. Au Canada, la loi de 2016 cantonnait le droit à l’euthanasie aux situations de fin de vie à brève échéance, en 2021, une personne physiquement handicapée ou atteinte d’une maladie chronique est désormais éligible à l’euthanasie.
Aux Pays-Bas, premier pays au monde à avoir légalisé l’euthanasie, des personnes souffrant de troubles psychiatriques, de démence et d’autisme sévère mais aussi les mineurs peuvent demander l’euthanasie.
Les conséquences sont dramatiquement concrètes :
En 2023 en Belgique, une femme de 50 ans, mère de famille, violée en 2016 et traumatisée par cette terrible agression, a été euthanasiée.
En 2022, en Belgique toujours, une jeune femme de 23 ans victime des attentats islamiste de 2016 a été euthanasiée pour cause de « souffrance psychologique insupportable ».
En France, Olympe, Youtubeuse de 23 ans qui souffre de trouble dissociatif de l’identité a annoncé avoir fait une demande d’euthanasie en Belgique.
Voici le résultat quand une société fait le choix de la mort plutôt que des soins, de la soi-disant autonomie plutôt que de la solidarité.
Pire encore, ce qu’on présentait alors comme une pratique marginale est en progression constante dans ces pays !
Au Pays-bas, le nombre d’euthanasies a été multiplié par 4 depuis la légalisation.
En Belgique, la part des euthanasies dans un contexte où la mort n’est pas attendue à brève échéance est passée de 9% des cas en 2010 à 16% en 2021. Le pourcentage de personnes âgées de plus de 80 ans est passé de 26% en 2010 à 40% en 2021.
Si la Belgique continue sur sa trajectoire de + 10 % d’euthanasie par an, ce seront bientôt près d’une personne sur deux de plus de 80 ans qui mourra euthanasiée.
Cette trajectoire était prévisible pour une raison simple :
Leur argument pour autoriser l’homicide est celui du respect de la volonté. Alors pourquoi seule la volonté du mourant devrait être respectée ? Si l’on suit cette logique, en quoi la volonté d’un malade, d’un handicapé ou d’un enfant devrait être entravée ?
L’autre question est de savoir quelle est véritablement la liberté de cette volonté ?
La vérité est que ce projet de loi, sous couvert de bons sentiments, est d’une monstrueuse perversité. Elle envoie un message douloureux à tous ceux qui vivent dans une grande vulnérabilité, et qui parfois sont tentés de « démissionner de la vie », selon les mots d’une personne handicapée.
On leur envoie le signal de leur inutilité en leur disant qu’ils entrent dans les cases des personnes dont la dignité est jugée suffisamment dégradée pour avoir le droit de mourir. « Mourir dans la dignité » est un slogan sous forme d’insulte pour tous ceux que nous devons convaincre de la valeur de leur vie.
Ce message les enferme dans une situation où il leur est difficile de refuser la mort.
Il faut imaginer que ces personnes fragiles ont bien souvent le sentiment d’être un fardeau psychologique, un poids économique pour leurs proches. En leur offrant la possibilité de mourir, on risque de faire peser sur elle la culpabilité de rester en vie.
On inverse la charge de la responsabilité : c’est à la société de se sentir coupable de ne pas accompagner, soulager, soigner correctement ses personnes. Avec la légalisation de l’euthanasie, ce sera le malade, le vieux, la personne handicapée qui pourra se sentir coupable de s’imposer à la société.
Il n’y a qu’un pas à vouloir quitter ce monde par amour pour les siens. Et c’est nous qui allons les y pousser par la légalisation.
Dans un documentaire produit par Bernard de la Villardière en 2023, des soignants expliquent qu’ils observent une pression sociale sur les patients vulnérables dont la vie ne vaudrait plus le coup d’être vécue.
Le premier rapport annuel du Canada sur l’euthanasie souligne qu’un nombre sans cesse croissant des candidats à l’euthanasie « mentionne le fait d’être une charge pour sa famille ou ses proches comme motif de la demande ».
On propose la mort, mais cette proposition glissera bien souvent vers une incitation à consentir à sa mise à mort.
Hé oui, comment ne pas être incité quand vous vivez en souffrance dans des déserts médicaux, loin de tout médecin pour vous soulager, que vous n’avez pas les moyens de vous payer une belle maison de retraite ni les soins d’une bonne clinique privée, que votre retraite ridicule ne vous permet pas de subvenir à vos besoins et que nous ne pouvez vous appuyer sur vos proches qui n’arrivent déjà pas à boucler les fins de mois. Vous voyez certainement où je veux en venir : cette incitation, elle sera d’abord pour les plus pauvres.
Le délabrement de la santé publique est de fait une incitation à l’euthanasie. Il y a en France, d’après l’Inspection générale des affaires sociales, 311 000 personnes nécessitant des soins palliatifs, pour 7 500 lits de soins palliatifs. 26 % des départements français, un hôpital sur quatre, n’en sont même pas pourvus. La situation est tout aussi dramatique pour les services psychiatriques.
Pour 75 % des Français, la fin de vie est donc la suivante : d’abord maltraité dans beaucoup d’EPHAD que l’État laisse à l’abandon, puis la souffrance et la mort dans un hôpital inadapté et sous-doté de soignants.
« Au début, les gens demandaient l’euthanasie par peur d’une mort atroce. Aujourd’hui, beaucoup la réclament par peur d’une vie atroce. Ils craignent moins la douleur et l’agonie qu’une existence pénible ou douloureuse. » comme le résume le Dr néerlandais Théo Boer, initialement favorable à l’euthanasie et aujourd’hui militant contre.
C’est en cela que le gouvernement est immoral et irresponsable à choisir la facilité de la mort, plutôt que l’exigence du soin, de la solidarité, des services publics.
La juste réponse à la fin de vie n’est rien d’autre que les soins palliatifs.
Le rôle du politique est donc d’abord de mettre en place les politiques publiques qui nous aideront à faire face au déclin de nos capacités physiques par un accompagnement adapté, qui faciliteront l’aide de notre entourage, qui prévoiront des établissements capables d’apporter les soins attendus, qui investiront dans l’accompagnement et l’insertion des personnes handicapées.
Plutôt que l’annonce d’une loi sur l’euthanasie, on attendait plutôt une grande loi sur la dépendance.
Plutôt que d’envisager un droit opposable à l’euthanasie, on aurait préféré un droit opposable à l’accès aux soins palliatifs.
Mais comme le rappelle le professeur Timothy Devos, médecin belge, « L’euthanasie et les soins palliatifs ne sont pas compatibles » car ce sont deux approches contradictoires.
L’interdiction du meurtre va au-delà de la morale, il nous pousse à trouver des solutions alternatives, à être inventifs.
C’est justement parce que l’euthanasie est interdite que l’on a développé les soins palliatifs. On a voulu soulager physiquement, moralement, psychologiquement, spirituellement même. On a proposé des médecines complémentaires et des distractions.
Pourquoi une telle énergie, pourquoi une telle créativité, pourquoi une telle compassion et prise en compte de la personne dans toutes ses dimensions s’il existe la facilité de donner la mort ?
Les deux modèles ne peuvent véritablement cohabiter.
Conclusion
En conclusion, je m’efface derrière les mots de Philippe Pozzo di Borgo tétraplégique depuis 30 ans qui nous interpellent :
« Nous sommes incontinents, souffrants, paralysés ou désorientés, porteurs de handicaps ou de maladies invalidantes, victimes des séquelles d’accidents, traumatisés crâniens ou malades psychiques. Tous, nous nous sentons encore plus fragilisés par ce débat.
Regardons les choses en face : beaucoup de « bien portants » nous décrètent malheureux sans même nous connaître.
Ils préféreraient ne plus vivre que de vivre avec nos incapacités. Mais qu’en savent-ils ? Que savent-ils du chemin que nous avons fait pour consentir à notre situation ? Que savent-ils des ressources vitales que nos épreuves ont révélées, malgré nos souffrances ? Il faut nous approcher pour nous connaître. Il faut prendre du temps, renoncer à la peur et à une certaine pitié qui ne nous aide pas.
Ont-ils conscience du message d’exclusion qu’ils nous envoient ? Alors que nous nous battons au quotidien, faudrait-il renoncer au courage de vivre ?
Chers concitoyens qui réfléchissez à la fin de vie, avec la force de notre fragilité, nous vous le demandons pour le bien de tous. Ne poussez pas les plus fragiles et ceux qui les entourent, à la désespérance, à l’auto-exclusion, au suicide ou à l’euthanasie. Protégez-les d’une prétendue « liberté de mourir » qui les presserait de quitter notre société.
Réaffirmez le droit de chacun d’être aidé à vivre, et jamais à mourir. Alors, la société que nous construisons ensemble sera plus humaine.
Aidez-nous à vivre, pas à mourir «
Marion MARÉCHAL,
Vice-présidente exécutive de Reconquête,
co-fondatrice de l’ISSEP